Par Mathieu Marguerie
Comment pratiquer l’agriculture biologique de conservation (ABC) des sols en région PACA ? Afin d’accompagner les producteurs dans la démarche, Agribio 04, en plus des expérimentations menées, a validé avec les pionniers régionaux de ces techniques quelques principes directeurs.
Les conditions climatiques de plus en plus atypiques de la région obligeront à repenser les systèmes de production, en particulier céréaliers dans lesquels des cultures doivent être semées chaque année. Les automnes 2018 et 2019 se ressemblent : les intenses pluviométries rendent très délicates la bonne réalisation des semis de céréales bio qui nécessitent une préparation mécanique du sol. À l’inverse, la mémoire de l’automne très sec de 2017 nous rappelle que la préparation des sols peut être rendue compliquée par l’absence de pluie pendant 4 ou 5 mois. Dans les deux cas, des itinéraires techniques basés sur un travail du sol important voient leur réalisation fortement compliquée. On constate au contraire dans les exploitations ayant réduit depuis plusieurs années le travail du sol de manière conjuguée à une couverture accrue, une plus grande souplesse dans les possibilités d’intervention. Des créneaux de travail superficiel du sol ou de semis supplémentaires s’ouvrent alors. Cet avantage pourrait bien devenir majeur dans les années à venir, tant l’analyse fréquentielle du climat de ces vingt dernières années montre une augmentation des épisodes pluvieux méditerranéens à l’automne.
Afin d’accompagner les agriculteurs bio qui souhaiteraient améliorer leurs techniques de conservation des sols, Agribio 04 a entrepris au printemps dernier une validation de quelques principes directeurs avec les pionniers engagés en ABC dans la région. Pour cela, trois systèmes représentatifs de la diversité des exploitations de grandes cultures dans la région ont été étudiés : les céréaliers avec et sans irrigation et les polyculteurs-éleveurs. Chacun d’entre eux ont des contraintes et des atouts différents leur permettant d’aller plus ou moins loin dans la sécurisation technique et économique de l’ABC en conditions méditerranéennes. Les difficultés liées à la mise en œuvre des techniques de conservation des sols ont d’abord été hiérarchisées et discriminées selon qu’elles soient d’abord liées au climat ou aux principes mêmes de la bio (Figure 1). La gestion du salissement en bio sans labour peut en effet être plus compliquée, notamment pour les adventices germant en superficie et se conservant peu d’années dans le sol (brome, folle avoine, vulpin, ray-grass…). Par ailleurs, la réduction du travail du sol risque de ralentir les cycles de minéralisation des matières organiques ce qui peut alors pénaliser la nutrition azotée de certaines cultures exigeantes en azote en l’absence de fertilisation compensatoire. Le climat de la région complique quant à lui la réussite des couverts végétaux et peut, en l’absence d’irrigation, contrecarrer les possibilités de diversification de cultures rendant la réussite des semis de printemps très aléatoire.
Figure 1 : discrimination des principaux freins à l’adoption des techniques de conservation des sols en bio en conditions méditerranéennes.
L’ensemble des agriculteurs des trois systèmes enquêtés s’accordent sur un point : une prairie temporaire en tête de rotation est une garantie minimale de la sécurisation de l’agriculture bio de conservation des sols (Figure 2). Elle permet bien sûr d’apporter l’azote nécessaire aux cultures céréalières si sa composition en légumineuses est importante. Par ailleurs, le fait qu’elle occupe le sol pendant plusieurs années et qu’elle soit entretenue par des fauches successives joue un rôle crucial dans l’entretien de la propreté des parcelles sur l’ensemble de la rotation. Sa destruction sans labour pourra en revanche être plus délicate. La disponibilité de plusieurs moyens mécaniques sera déterminante pour conférer au système de la souplesse dans les interventions en fonction des plantes présentes et des conditions climatiques (Figure 2). Par ailleurs, nombre d’agriculteurs allongent généralement d’un an la durée de la luzerne, plus facilement destructible sans labour, car plus affaiblie qu’au bout de trois ans.
Figure 2 : principales stratégies pour l’ABC des sols en climat provençal.
Figure 3 : emploi de différents outils de travail du sol pour l’ABC en conditions méditerranéennes
Avant même la simplification du travail du sol, la première contrainte est celle de la réussite des couverts végétaux en climat provençal. Si les pluies automnales sont abondantes, elles le sont souvent tardivement, après le 15 ou 20 octobre, soit trop tard pour implanter un couvert avant l’hiver en l’absence d’irrigation. Septembre devient de plus en plus un mois pauvre en précipitations. Néanmoins, on constate sur le terrain que les agriculteurs qui réussissent le mieux leurs couverts végétaux sont ceux qui possèdent des sacs de semences à disposition tout au long de l’année pour intervenir dès que les conditions s’y prêtent. Des couverts peu onéreux (radis, moutarde) ou des semences de ferme permettent de sécuriser économiquement le retour sur investissement. Dans le cadre du projet « couverts végétaux sans herbicide dans les filières PPAM et grandes cultures en conditions méditerranéennes » animé par Agribio 04, des espèces ont été identifiées sur leur capacité à produire un minimum de biomasse en conditions sèches (figure 4).
Figure 4 : biomasse des couverts annuels implantés fin août à leur destruction en début de printemps. Compilation de deux premières années d’essais réalisés à Gréoux-les-Bains
Atteindre une biomasse de 2.5 ou 3 tonnes de matière sèche à l’hectare permettant un bon contrôle des adventices et des apports d’azote significatifs reste compliqué sans irrigation dans la partie sud de la région. Un couvert mal réussi, c’est-à-dire peu poussant, est en effet un couvert concurrencé par les adventices, dont les effets agronomiques seront atténués et dont la destruction sera rendue plus difficile, d’autant plus si elle est effectuée sans labour. Enfin un couvert « raté » est également un mauvais retour sur investissement : de l’argent dépensé dans la semence, le semis et la préparation du sol qui va avec, mais des bénéfices limités.
L’irrigation est bien évidemment un facteur sécurisant la réussite de la levée des couverts et un moyen de s’assurer un minimum de biomasse. En son absence, le semis des couverts hivernaux est souvent décalé de la fin août aux premières pluies de mi-septembre, ce qui diminue le potentiel de biomasse. Les essais en cours cette année permettront d’évaluer l’intérêt de semis de couverts précoces à l’irrigation (mi-août) comparativement à des semis plus tardifs sans irrigation. Dans le premier cas, la levée des couverts peut être pénalisée par celle concomitante des mauvaises herbes, comme le ray-grass. Attendre pour avoir l’opportunité de préparer les sols pour mettre les couverts en situation de compétitivité face aux mauvaises herbes semble être une stratégie gagnante… à condition que la pluie vienne derrière. L’irrigation permet également le décalage des dates de semis des cultures d’hiver et de printemps afin de réaliser des faux semis. Les pertes de rendement pourront alors être compensées par quelques tours d’eau. En ce sens, le choix des couverts est primordial pour s’orienter vers ceux capables de couvrir rapidement le sol. La présence de l’élevage dans le système permet d’aller beaucoup plus loin dans la sécurisation des pratiques en ABC. Les polyculteurs-éleveurs sont, parmi les trois types d’exploitation étudiés, ceux qui vont le plus loin en termes de semis direct (c’est-à-dire sans aucun travail du sol). Ce sont également eux qui possèdent les marges de manœuvre les plus importantes en cas d’échec d’une culture ou d’un couvert. Le pâturage leur permet entre autres de valoriser une culture qui se serait fait « dépasser » par un couvert, chose moins facile pour les exploitations sans élevage. Par ailleurs, l’élevage confère une tolérance plus importante au salissement des couverts : des levées de ray-grass dans un couvert sont valorisables. En fonction des années et des opportunités, un couvert pourra devenir un fourrage pâturé ou fauché. Enfin, le pâturage des couverts peut également, s’il est bien mené, être un accélérateur de fertilité. En transformant les couverts en bouse, le rapport C/N de ces derniers s’abaisse rendant ainsi leur assimilation par les cultures qui suivent plus rapide. C’est donc un moyen de palier à la plus lente minéralisation en systèmes avec peu de travail des sols. Pour la réussite de la pratique des méthodes de pâturage tournant dynamique sont conseillées. Afin de ne pas perdre une part trop importante de fertilité accumulée dans les couverts et de réguler les mauvaises herbes, un pâturage non sélectif basé sur des petites surfaces et des rotations courtes est de mise.
La facilité à aller vers de l’ABC avec élevage ne veut pas dire que les animaux seront réintroduits sur toutes les fermes. En revanche, la chose doit être envisagée à l’échelle de bassins de production. Elle pourrait même permettre d’aider ou d’installer des éleveurs en mal de terre, les couverts, ou les prairies en tête de rotation, permettant alors une nourriture facile d’accès aux bergers. Dans les systèmes sans eau ni élevage, la collaboration avec des éleveurs est un gage de sécurité pour la valorisation des prairies pluriannuelles, pilier indispensable de l’ABC. Encore plus qu’en présence d’élevage et d’irrigation, les stratégies opportunistes et permettant une réactivité importante seront les clefs de la réussite dans les systèmes au sec. La couverture spontanée des sols par les chaumes ou les repousses de luzerne, de sainfoin ou d’autres cultures doit être privilégiée. Pour cela, une destruction de la luzerne avant semis du blé par scalpage ou labour peu profond est appréciable. La maîtrise de la concurrence entre la céréale et la luzerne se fera par la qualité de la régulation de cette dernière et l’emploi de blés hauts en paille qui passeront au-dessus de la luzerne. Des techniques de régulation de la luzerne par tonte dans le blé sont en cours d’expérimentation à Arvalis. Il faudra aussi éviter un déchaumage post-récolte pour permettre à la prairie de repartir, voire de la broyer pour lui redonner de la vigueur. En fonction de la date de semis de la culture suivante, un sur-semis de couverts annuels dans la luzerne pourra être envisagé afin de combler les manques de cette dernière.
Repousses de luzerne (calmée à l’actisol) derrière un blé.
Article rédigé dans le cadre du projet PEI "gestion des couverts végétaux sans herbicide en région PACA" financé par la mesure 16.1 du FEADER