Par Mathieu Marguerie, Agribio 04 -mathieu.marguerie@bio-provence.org
Christophe Pradié, Agribio 04
Reconnus pour les services qu’ils apportent (matière organique, lutte contre l’érosion et le lessivage…), la pratique des couverts végétaux se développe en conditions méditerranéennes. Ceci étant dit, choisir les espèces adaptées n’est, compte tenu d’un climat exigeant, pas chose aisée. Pour tenter de mieux identifier les couverts adaptés au stress hydrique, une plateforme expérimentale a été implantée à Gréoux les Bains. Retour sur la première année de résultats.
Semer un couvert végétal en climat méditerranéen sans irrigation vaut-il le coup ? Si oui, quels couverts semer ? Pour tenter de répondre à ces questions cruciales, Agribio 04, aidé de nombreux partenaires (Chambre d’Agriculture 04, Arvalis, CRIEPPAM, ITAB, Supagro Montpellier) a organisé la mise en place d’une plateforme d’expérimentation dans le cadre du projet PEI (Partenariat Européen d’Innovation) « Gestion des couverts végétaux sans herbicide en production de grandes cultures et PPAM en PACA ». Le 31 aout 2017, vingt-et-un couverts végétaux, fournis par des semenciers (Semences de Provence) ou des agriculteurs locaux, ont donc été implantés par Marc Richaud sur une de ses parcelles en conversion vers l’agriculture biologique à Gréoux-les-Bains (Sud des Alpes de Haute-Provence). Limono-sablo-argileuse, la parcelle a un taux de matière organique de 1.9%. Sauf pour le cas particulier des couverts gélifs, les prélèvements de biomasse des couverts, les notations de leur hauteur et de leur recouvrement ont été réalisées à deux dates : au 14 mars et au 16 avril, afin de mesurer la reprise de début de printemps.
Un dispositif particulier pour caractériser l’effet du stress hydrique
Afin de sécuriser l’expérimentation, l’ensemble de la parcelle avait été arrosée une semaine avant le semis. En revanche, une fois le semis effectué, la parcelle a été divisée en deux pour que chaque couvert soit conduit et en sec et en irrigué. Entre le semis et la fin novembre, on comptabilise à peine plus de 40 mm de pluie, renforcés par 110 mm d’irrigation sur la partie arrosée de l’essai. Ces irrigations ont permis d’éliminer le stress hydrique sur la modalité irriguée de l’essai d’après les simulations avec le modèle agro-climatique CHN d’Arvalis-Institut du Végétal. Outre l’extrême sécheresse estivale et automnale, l’autre fait climatique marquant de l’année est l’arrivée de températures négatives dès le début du mois de novembre. Mis à part un redoux la deuxième quinzaine de janvier, le froid s’est ensuite installé durablement jusque mi-mars, avec des températures autour des -5°. L’augmentation des températures a ensuite été constante jusqu’à la destruction des couverts et concomitante avec d’importantes pluies début avril (60 mm autour du 8-10 avril), assurant ainsi une bonne reprise de biomasse après la sortie d’hiver.
Au vu des conditions climatiques décrites ci-dessus, l’absence d’irrigation a eu un fort effet sur le développement des couverts. La biomasse moyenne des couverts au 16 avril était de 1.4 T de MS/ha en irrigué, contre seulement 0.8 en sec, ce qui dans un cas comme dans l’autre reste modéré. Ceci étant dit, on observe une très forte variabilité de production de biomasse entre les différents couverts (Figure 1). La vesce Barvicos (3.4 T MS/ha), les féveroles Irena (2.4 T MS/ha) et Vesuvio (2.19 T MS/ha), les mélanges Biomax (1.94 T MS/ha) et l’ers (1.9 T MS/ha) offrent les meilleures biomasses en irrigué. Au sec, les couverts les plus développés au 16 avril sont dans l’ordre le seigle (1.7 T), la vesce Barvicos (1.6T), l’ers (1T), la vesce Mariana (0.9T) et la gesse N-Fix (0.8T), détruite par le gel début décembre.
Figure 1 : biomasse des couverts au 16 avril. Les histogrammes bleus présentent les biomasses en irrigué. Les histogrammes jaunes présentent les biomasses en sec. Le mélange Biomax précoce est composé de tournesol, féverole, moutarde, sorgho, vesce, pois fourragé à 200kg/ha et a été semé le 15/08. Le mélange Biomax tardif est de la même composition mais semé le 31/08, à la même date que l’ensemble des autres couverts. Sud Perfo est un mélange proposé par Semences de Provence composé de pois fourrager, gesse, vesce commune de printemps, radis chinois Structurator et alpiste des Canaries. La biomasse de la gesse N-Fix est celle mesurée au 10/12, après sa destruction par le gel.
L’analyse des différences de biomasse entre sec et irrigué pour chaque couvert permet l’identification de ceux qui, cette année, ont le mieux résister à l’absence d’irrigation en début de cycle (Figure 2). Les couverts pour lesquels le différentiel de biomasse entre le sec et l’irrigué est faible ont, mis à part le seigle, des biomasses modérées, inférieures à 1 T MS/ha.
Figure 2 : biomasse comparée des couverts (T MS/ha) en sec et en irrigué. Plus les couverts sont positionnés près de la ligne rouge, moins la différence entre la biomasse en sec et en irrigué est marquée.
Outre le rendement en biomasse des couverts, leur hauteur et leur capacité de recouvrement (Figure 3) ont été mesurées. Ces données permettent par exemple d’identifier des couverts à forte production de biomasse et hauteur importante mais au taux de recouvrement limité. C’est le cas par exemple de la féverole, à port érigé. A l’inverse, des couverts moins hauts sont capables d’être très couvrants et de produire de la biomasse (vesce, ers). En système sans herbicide, le choix d’espèces à fort pouvoir couvrant est primordial pour contrôler les adventices et avoir des couverts végétaux les plus propres possibles. En l’absence d’irrigation, les couverts ont été significativement moins hauts et moins couvrants, mais pas nécessairement plus sales. Là où l’espace laissé libre par les couverts a laissé place à de la terre nue en sec, il a été occupé par des adventices en irrigué. Même au sec, les couverts ont la possibilité de couvrir le sol dans des proportions non négligeables (jusque 58% pour les plus espèces les plus couvrantes).
Figure 3 : taux de recouvrement des couverts au 16/04 (% de terre occupée par les couverts à 90 degrés). Les couverts pluriannuels au sec (Luzerne, Minette) n’ont pas donné de résultats.
L’azote contenu dans la partie aérienne des couverts apparaît fortement corrélé à la biomasse qu’ils ont été capables de développer (Fig.4). Logiquement, on constate en sec, des quantités d’azote contenus dans les couverts moindres (moyenne de 20 kg N/ha) par rapport à l’irrigué (moyenne de 47 kg N/ha). Les couverts peu développés, y compris les légumineuses, ne contiennent que peu d’azote et peuvent donc en restituer qu’en de très faibles quantités.
Figure 4 : corrélation entre l’azote contenu dans les couverts et leur biomasse. En rouge, les couverts au sec, en bleu les couverts à l’irrigué.
Si l’azote contenu dans un couvert l’est essentiellement dans sa partie aérienne, les racines sont en mesure d’augmenter ce stock de 10 à 30%. Un coefficient correcteur a donc été appliqué, sur la base de la bibliographie existante (S.Minette, CA Nouvelle-Aquitaine) pour connaître l’azote total contenu dans les couverts, et leur potentiel de restitution pour la culture suivante. Cette dernière est dépendante du rapport C/N des couverts au moment de leur destruction. Plus ce dernier est faible (matière verte frâiche), plus les couverts restitueront l’azote rapidement pour la culture suivante, dans la limite de 50% de ce qu’ils contiennent. Des couverts plus ligneux ou secs permettront de mieux augmenter les stocks de matière organique stable dans le sol à long terme. La figure 5 présente les restitutions potentielles d’azote pour la culture suivante en proportion de l’azote total contenu dans les couverts. Les couverts ayant atteint les meilleurs biomasses peuvent potentiellement être en mesure de restituer entre 40 et 67 unités d’azote par hectare en irrigué et jusque 30 en sec.
Figure 5 : Azote contenu dans les couverts à destruction et potentiellement restituable pour la culture suivante.
Télécharger la figure 5
Si aucune année ne ressemble à une autre, tant le climat provençal récent semble atypique, ces premiers résultats permettent d’y voir un peu plus clair sur le choix possible des couverts en conditions méditerranéennes. Ils seront à confirmer lors des deux prochaines années d’essais. Privilégier les mélanges d’espèces à l’implantation est par ailleurs, un gage de sécurisation de la réussite de la levée et de la bonne couverture du sol. Des associations entre des légumineuses couvrantes (ers, vesce), à port érigé (féverole) ou des graminées de type seigle permettent généralement de trouver le compromis entre couverture, structuration du sol et biomasse. Au-delà du choix des espèces, l’implantation d’un couvert en été reste souvent délicate au sec en Provence. Pour une interculture entre une céréale d’hiver et une culture de printemps, cela revient à chercher la date optimale de semis entre les premières pluies et avant l’arrivée des températures plus froides. L’idéal se situe généralement autour de début septembre pour avoir des couverts les mieux développés possibles avant les premiers froids. Le soin apporté à l’implantation est primordial tant au niveau de la préparation du sol que de son désherbage éventuel pré ou post semis. Un passage d’herse étrille à l’aveugle quelques jours après le semis est conseillé. Dans des conditions très sèches, il est préférable d’éviter les couverts à petites graines (trèfles, fétuques, lotiers, alpiste) pour se concentrer sur des semences à PMG plus importants, capables d’être enterrées plus profondément et disposant de plus de réserves (vesces, féverole, ers, gesse…). Cela sera un avantage également dans le cas de semis sur des sols pas suffisamment affinés. Enfin, des couverts gélifs (légumineuses comme la lentille fourragère, la gesse, le fénugrec) peuvent également être implantés en association avec un blé dans le but de lui apporter de l’azote. L’objectif de cette pratique est qu’en gelant, le couvert apporte au blé de l’azote. La réussite de cette technique dépend évidemment du gel du couvert. Pour assurer le gel du couvert, il faut que ce dernier soit suffisamment développé afin d’être sensible aux températures froides. Un semis trop tardif peut donc contrarier son objectif de destruction par le gel. En cas de semis précoces des blés en secteur de montagne (septembre), le semis de la légumineuse doit s’envisager en même temps que le blé. En revanche, en cas de semis tardif des blés fin octobre (sud des Alpes de Haute-Provence, Vaucluse, Bouches du Rhône), il est nécessaire de semer la légumineuse en amont du blé, idéalement début septembre. Le blé sera semé en direct dans cette légumineuse par la suite, à la date habituelle. Des essais vont être menés en ce sens cette année dans la région. Si vous souhaitez y contribuer, n’hésitez pas.
Restitution des résultats et ateliers de travail :
Mardi 31 juillet 18h à Forcalquier (salle du grand carré)
Jeudi 2 Aout 18h à Vinon sur Verdon (Mairie)
Pour aller plus loin :
Fiches couverts végétaux 2018
Ce projet est financé par la mesure 16.1 du Programme de Développement Rural de la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, à hauteur de 109 680,60 euros d’aides publiques :
Partenaires du projet :
Bio de PACA- Agribio 04 - Chambre d’Agriculture 04 - Arvalis, Institut du Végétal - CRIEPPAM - ISARA - Montpellier Supagro - ITAB - Atelier Paysan - Lycées agricoles de La Ricarde et d’Aix-Valabre