La carie est une maladie qui a disparu à la seconde moitié du XXème siècle, grâce à l’apparition de semences certifiées, contrôlées et traitées vis-à-vis de cette maladie. Dans les systèmes en Agriculture Biologique où peu de moyens de lutte sont efficaces, et avec la valorisation de semences paysannes ou fermière, la carie revient dans les champs. Afin de lutter contre cette maladie et d’éviter sa propagation, il est important de connaître son cycle de développement et de mettre en place des mesures préventives.
La carie du blé est une maladie fongique touchant le blé tendre, mais également le blé dur ou l’épeautre. D’autres espèces sont moins sensibles telles que le triticale ou le seigle, l’orge et l’avoine sont quant à elles résistantes. Le schéma ci-dessous présente la sensibilité des céréales vis-à-vis de la maladie :
Sensibilité à la carie en fonction des espèces de céréales (Source : ITAB)
La carie est provoquée par 3 principales espèces, dont les deux premières sont les plus courantes dans les champs :
La maladie n’est pas toxique pour l’Homme, mais elle donne une odeur de "poisson pourri" aux lots contaminés. Le grain se retrouve alors impropre à la consommation humaine (odeur se retrouvant dans les farines et dans les pains), y compris pour l’alimentation animale puisqu’il n’est pas consommé.
La présence de carie est généralement détectée peu avant la récolte. Les critères de reconnaissance sont l’odeur mentionnée ci-dessus, des glumes de couleur vert foncé, des épis plus petits et bleutés, ainsi que des grains noirs (carie qui prend la place de l’amidon) et écartés du rachis. Selon le niveau de contamination, il est possible d’observer à la moisson, un nuage noir symptomatique de l’éclatement des grains cariés lors du battage.
Grains de blé tendre touchés par la carie du blé
La contamination d’une plante saine peut intervenir avant le stade 2 feuilles, lorsque la paroi est assez fine pour permettre au mycélium de pénétrer. La carie va développer de façon asymptomatique dans la plante jusqu’à la maturation des épis. La maladie pénètre alors dans le grain, et les spores s’y développent au détriment de l’amidon. C’est alors qu’apparaissent les symptômes sur l’épi, décrits précédemment.
Au moment de la moisson, les grains éclatent au battage et les spores se disséminent - plusieurs millions de spores par grain carié. Ces spores libérées viennent contaminer la surface des grains sains ou bien se déposer au sol, où ils pourront être conservés pendant au moins 5 ans.
Cycle de la carie commune (Source : ARVALIS)
De faibles taux de carie, autour de 0,1% d’épis touchés, peuvent suffire pour dégager une odeur dans l’ensemble du lot moissonné.
Pour lutter efficacement contre la carie, il faut intervenir sur les deux modes de propagation de la maladie : limiter la dissémination des grains cariés et la propagation par le sol. D’autres méthodes préventives sont à mettre en œuvre pour limiter les contaminations.
RECOLTER LES PARCELLES CONTAMINEES EN DERNIER = LIMITER LA PROPAGATION
Lors du battage d’une parcelle carié, le nuage de spores risque de contaminer les parcelles environnantes ainsi que le matériel (de récolte, transport, triage, stockage...).
Il est donc recommandé de récolter les parcelles contaminées ou avec suspicion en dernier pour limiter la propagation. Un nettoyage des équipements est également fortement conseillé, ainsi que de purger la moissonneuse avec une culture non-sensible à la carie.
UTILISER DES SEMENCES SAINES
La contamination d’un champ par quelques semences cariées est exponentielle puisque des millions de spores vont se disséminer au cours des différentes opérations culturales. C’est pourquoi il faut être vigilant sur la qualité de la semence.
Pour les semences non certifiées (de ferme / paysannes...) utiliser des semences saines reste le premier levier pour limiter la carie. L’utilisation de semences certifiées permet de limiter cette source de contamination, et des variétés modernes d’espèces sensibles présentent des résistances à la carie.
En cas de contamination ou de suspicion, renouveler sa semence est fortement recommandé pour limiter une contamination exponentielle. Vous pouvez contacter Agribio 04 pour être mis en relation avec d’autres fermes concernant des semences paysannes de blé.
TRAITER LES SEMENCES AVANT SEMIS
Une des principales sources de propagation concerne un grain sain contaminé au moment de la récolte, par des spores sur son enveloppe (qui pénétrera dans le grain au moment du semis). Traiter les semences permet donc d’élimer les spores présentes sur l’enveloppe et de réduire la pression.
En Agriculture Biologique, peu de solutions de traitement des semences existent. Cependant, des essais ont montré de l’efficacité sur certaines méthodes :
Les doses et mises en œuvre du traitement sont précisées dans la fiche technique #13 Gérer la Carie sur céréales du réseau Bio de PACA. Un test de germination peut ensuite être réalisé afin de vérifier que le traitement n’a pas affecté la qualité des semences.
Résultats d’essais sur le traitement des semences contre la carie, avec différents produits testés - Centre wallon de Recherches agronomiques
Le traitement des semences permet de se débarrasser d’une grande partie des spores présentes sur l’enveloppe, mais le schéma ci-dessus montre que l’efficacité n’est pas totale quel que soit le mode de traitement. En cas de présence de carie, renouveler sa semence est primordial afin de limiter une augmentation exponentielle de la pression. Vigilance car même si le taux de carie est nul sur le grain, certains spores peuvent encore être présentes dans le sol selon l’historique de la parcelle.
METTRE EN PLACE DE BONNES PRATIQUES AU CHAMP
Les semis en condition de forte humidité peuvent favoriser le développement de la carie donc éviter les excès d’eau. Une levée rapide grâce à un semis moins profond et en conditions poussantes, permettra de limiter la contamination.
La surveillance des parcelles notamment à partir de l’épiaison est primordiale afin de ne pas avoir de surprises à la moisson.
Pour des parcelles contaminées, il est recommandé de retarder le travail au maximum du sol pour laisser les spores s’épuiser au contact de l’air et de l’humidité durant l’hiver. Un labour profond avant le semis de la prochaine culture peut s’avérer efficace pour enfouir les résidus contaminés. Un travail superficiel sera recommandé les prochaines années pour éviter de faire remonter les spores à la surface. Une rotation d’au moins 5 ans devra être mise en place en limitant les espèces sensibles (voir figure précédente) et en diversifiant les familles botaniques pour réduire la pression.
Dans un rayon de 500 mètres autour d’une parcelle touchée, il est recommandé de ne pas réutiliser sa semence puisque les grains ont pu être contaminés par un nuage de spores. Une gestion collective est importante en informant ses voisins.
En cas de forte pression, un brûlage des parcelles sera nécessaire sous réserve d’une autorisation préfectorale (reste compliqué en PACA avec risques incendies).
ATTENTION AUX ECHANGES DE SEMENCES
Les échanges de semences sont la première source de contamination par des spores exogènes. En cas d’échange de semences, il est recommandé de procéder à une analyse en laboratoire afin d’évaluer si le lot est sain (voir partie suivante).
GÉRER UN LOT DE SEMENCES INFESTÉ
Dans le cadre du projet de recherche européen LIVESEED porté sur le développement des semences et de la section pour l’Agriculture Biologique, les partenaires on créé un schéma de décision qui résume toutes les informations utiles à prendre en compte pour gérer un lot de semences carié. Vous pouvez cliquer sur l’image ci-dessous pour consulter la note de synthèse.
LIVESEED - Schéma de décision pour la gestion de la carie, par Anders Borgen (Agrologica), Stephanie Klaedtke (ITAB) et Angela Thueringer (AGES)
Pour réutiliser ses semences en cas de suspicion de maladie, ou bien pour contrôler la présence de carie sur des nouvelles semences, il est recommandé de réaliser une analyse auprès d’un laboratoire.
Le GEVES propose une analyse de dénombrement des spores de carie présentes dans un échantillon. Le résultat permet d’évaluer la pression en nombre de spores par gramme de grain de blé, avec le détail pour les trois espèces de carie.
Seuils de contamination : A partir de 20 spores par grain, il y a un risque élevé de contamination par les semences. Ne pas dépasser une contamination initiale de 50 spores par grain, soit environ 1000 spores max par gramme de blé.
Pour réaliser une analyse, il vous suffit de demander un devis puis d’envoyer un échantillon de 50 grammes de blé (attention à la méthode d’échantillonnage - prélever à différents endroits du silo et/ou réaliser plusieurs échantillons par lot). Anticiper l’analyse par rapport aux semis car les délais sont d’environ 15 jours.
Le montant de l’analyse s’élève autour d’une centaine d’euros.
Retrouvez l’analyse PA-CA-BLE dans la plaquette des prestations 2024 du GEVES.
Grains de blé tendre touchés par la carie du blé
En cas de doute ou de présence avérée de carie, le premier geste vise à isoler les lots. Les échanges de semences sont à bannir pour éviter de disséminer la maladie.
La récolte étant non valorisable, en alimentations humaine et animale, avec un risque de dissémination des spores, ces grains devront être détruits par incinération afin d’éliminer les spores.
En cas de présence d’odeur de carie à la moisson, ou bien un lot qui tâche les mains, il est généralement trop tard pour rattraper son lot. Un triage sévère et le brossage du grain ne seront généralement pas suffisants selon le niveau de pression :
Récolte de blé cariée, grain trié sévèrement et brossé mais présence de grains boutés = grains sains colorés, où les spores sont venues se loger dans les sillons après éclatement des grains cariés
Le "réservoir" de spores se situe dans les grains cariés, mais elles peuvent également être présentes dans les pailles. Limiter les échanges de pailles qui sont également vecteurs de maladies.
Article rédigé en aout 2024 dans le cadre du projet ECOPHYTO Blé Paysan BIO, avec le soutien financier de l’Office Français de la Biodiversité.
Contacts et renseignements : Damien FORNENGO, anim.grandes-cultures@bio-provence.org