Le réseau des agriculteurs et agricultrices Bio
de Provence-Alpes-Côte d'Azur

Le teff, une première année d’expérimentation : des résultats intéressants sous un climat clément

La diminution de productivité des fourrages estivaux en raison du changement climatique est un problème de plus en plus récurrent en région Sud-PACA. Dans un contexte de dérèglement climatique, une question tourne en boucle : vers quelle(s) espèce(s) s’orienter pour plus de résilience sur les fermes ?

En 2022, Agribio 04 a été sollicité par le DUT de Digne-les-Bains, afin d’établir un partenariat sur le projet « TEFFOU ». Porté par 4 étudiants, Inès BOURDIN, Manon DUPEUX, Alice JACQUET-MAURY et Flavien MASSIERA, encadrés par l’enseignante Véronique CHALANDO, TEFFOU visait à étudier la faisabilité de la culture de teff dans les Alpes-de-Haute-Provence.

C’est lors d’une visite au musée ethnobotanique de Salagon (Mane, 04) que les étudiants ont découvert le teff (Eragrostis tef) : une Poacée venue d’Ethiopie qui serait particulièrement résistante à la sécheresse. Comme le maïs ou le sorgho, le teff est une plante en C4 qui maintient sa photosynthèse lorsque les conditions du milieu sont chaudes et sèches. Son plafond de végétation se situe autour de 35°C (contre 25°C pour le blé), avec un zéro de végétation autour de 10°C. Le teff est donc une plante qui apprécie les températures élevées, c’est pourquoi il doit être semé lorsque le sol atteint une température autour de 16°C, soit des semis autour de mai en PACA.

Ces caractéristiques font du teff une plante intéressante par son plafond de végétation relativement haut, et une potentielle résistance à la sécheresse. Il pourrait être une espèce intéressante comme culture fourragères estivale dans la région. De plus, le teff une plante avec un cycle relativement court, autour de 45 jours, ce qui permettrait un pâturage tout au long de l’été à condition d’avoir une bonne rotation des parcelles.

Dans sa zone de production d’origine, le teff est récolté manuellement pour être valorisé en alimentation humaine. Sa petite graine (PMG de 0,2g) pose la question quant à sa récolte mécanique.

Les essais paysans en 2023

En 2023, un réseau de parcelles a été mis en place chez 5 polyculteurs-éleveurs de la région PACA – trois agriculteurs situés dans les Alpes-de-Haute-Provence (Pierrerue, Digne et Gréoux), un agriculteur dans les Hautes-Alpes (Gap) et un agriculteur dans les Alpes-Maritimes (Sallagriffon). Ce réseau avait pour objectif de mieux appréhender la culture du teff , mais également d’acquérir des références sur un niveau de rendement moyen pour la région PACA. Sur le site d’essai à Pierrerue, plusieurs modalités ont été testées

  • Comparaison de la production de biomasse entre le teff et le sorgho, la culture la plus proche du teff en termes de physiologie et de débouchés
  • Comparaison de différentes dates de semis (11/05 et 28/05)
    Parmi les 5 sites d’essais, seul le site de Pierrerue a permis d’obtenir des résultats chiffrés sur la culture,. Toutefois, les échecs d’implantation nous permettent d’acquérir de riches enseignements.

    Figure 1 : Teff J+46 après semis - GAEC Les Charentais, Pierrerue – 26 juin 2023

Teff vs. Sorgho – des premiers résultats intéressants, dans un contexte climatique favorable


Tableau 1 : Références sur les parcelles et modalités testées au GAEC Les Charentais – Essai Teff 2023

L’année 2023 a été marquée par une fin de printemps relativement humide. Entre début mai et mi-juin, environ 225 mm de précipitations sont relevés à Pierrerue.

Les prélèvements de biomasse avant la première coupe (J+53 semis) et avant la seconde coupe (J+52 première coupe) ont été réalisés sur le Teff et le Sorgho afin d’évaluer le niveau de rendement de ces deux cultures.
Tableau 2 : Prélèvements de biomasse de Teff et de Sorgho, à deux dates de prélèvement, et rendement cumulé en matière sèche

Point de vigilance : Les résultats de biomasse sont à mettre en relation avec le climat de l’année d’essai. La poursuite de ces essais permettra d’obtenir des références pluriannuelles, avec différentes conditions climatiques.

Pour la première coupe, le sorgho présente un rendement en matière fraiche presque deux fois supérieur au teff. Après passage à l’étuve, on obtient un rendement en matière sèche supérieur pour le teff (+1,4 t/ha) – ceci s’explique par une humidité plus importante du sorgho (82%) par rapport au teff (59%).
Lors de la seconde coupe, les rendements du sorgho et du teff sont en nette diminution. Cet écart s’explique en grande partie à cause de la sécheresse estivale - 231,9mm entre les semis et la première coupe, contre 1,5mm entre la première et deuxième coupe. Le sorgho semble mieux se comporter en conditions séchantes puisque son rendement en sec est supérieur au teff (+60% en matière sèche, avec des taux d’humidité similaires entre les deux coupes).
Les fauches ayant eu lieu tardivement, lorsque le teff était déjà à épiaison, ce facteur a pu également jouer sur la repousse par épuisement.
Pour conclure, l’essai en 2023 à Pierrerue a présenté un rendement cumulé équivalent pour le teff et pour le sorgho. En conditions séchante, le sorgho semble mieux se comporter. Le teff quant à lui, semble mieux valoriser l’eau disponible afin de produire une quantité de biomasse intéressante. Ces différences de production en fonction du climat pourraient donc permettre une meilleure résilience sur la ferme en sécurisant la production de fourrages. Des analyses sur les valeurs nutritionnelles seront également à prévoir lors des prochaines années d’expérimentation afin de mettre en relation le rendement et la qualité.

Retour d’expérience sur les facteurs d’échec de la culture

Travailler le sol pour favoriser l’enracinement : Le teff dispose de racines relativement superficielles (voir photo ci-contre). En 2023, le climat pluvieux post-semis n’a pas favoriser l’enracinement du teff, par une forte disponibilité en eau. Le travail du sol a été réalisé avec une herse rotative. Cet outil animé a tendance à réaliser un léger tassement du sol , en dessous de la zone de travail (5-10cm), ce qui n’a pas dû favoriser l’enracinement.

Température et conditions de semis : Le teff semé le 27 avril à Gréoux-les-Bains n’a pas levé. Les températures moyennes journalières étant autour 14°C, la première hypothèse est que le sol n’était pas assez chaud pour permettre un bon développement du teff. Le sol de type limoneux, ainsi que les fortes précipitations post-semis, ont pu provoquer une croute de battance, limitant la levée du teff qui s’est épuisé post germination.

Irriguer pour sécuriser la levée : L’essai en 2023 avait pour objectif de réaliser des modalités irriguées et non irriguées post-semis (stratégie sécuriser la levée). Compte tenu des conditions climatiques, ces modalités n’ont pas pu être testées. Sachant que la période idéale de semis en PACA se situe autour de mai, que la semence de teff est de petite taille et qu’elle doit être semée superficiellement, l’irrigation post-semis permettrait de sécuriser la levée, lors de cette période habituellement en déficit hydrique.

Concurrence en adventices : La parcelle de teff semé à Marcoux présentait une forte pression en adventices (système en polyculture-élevage extensif, en non-labour depuis 20 ans). Du fait de la petite taille de la plante, le teff semble facilement se faire concurrencer par les adventices. Or, sur une parcelle où le teff semblait s’être fait étouffer par les adventices, nous avons pu l’observer quelques mois après semis à épiaison. En présente d’adventices concurrentes et en conditions favorables (températures et humidité du sol), le teff semblerait toutefois bien se développer pour monter à graines et terminer son cycle. Ces hypothèses seront à approfondir lors des prochaines années d’expérimentations, notamment avec des cultures associées – intérêt pour la ration fourragère de l’associer avec une légumineuse.

Pâturage – attention à l’arrachage ! Un essai de pâturage a été réalisé avant la première coupe sur une petite zone de l’essai. Les dégâts liés à l’arrachage des plantes est estimé autour de 30% de pertes. Du fait de ses racines superficielles, il est recommandé de faucher le teff lors son premier prélèvement, pour ensuite stimuler sa croissance racinaire lors de la seconde pousse et ainsi permettre un pâturage tout en limitant les pertes.

Une sensibilité du teff à la verse ? Avec de fortes précipitations entre les semis et la première coupe, ainsi que d’importes rafales de vent fin juin, le teff et le sorgho semé à Pierrerue ont versé. La verse peut notamment poser un problème au moment de la récolte du foin. Le teff semble avoir plus versé que le sorgho. En effet, le sorgho a une tige plus dense qui permet mieux de soutenir le poids de la plante. Cette sensibilité à la verse est également à mettre en relation avec l’année climatique et d’autres observations sont nécessaires pour conclure.

Affouragement

  • Pâturage sur pied : le teff est globalement bien consommé par les brebis.
  • Distribution en sec quelques jours après la fauche : semble peu appétant pour les animaux. Plusieurs hypothèses : (1) Brebis non habituées à ce foin ; (2) Les éleveurs ont remarqué que le foin avait une odeur particulière, qui pourrait déranger les animaux.
  • Distribution en sec : le teff semble présenter moins de rebus que le sorgho puisque la tige de ce dernier n’est pas très appétant pour les animaux. Pour les prochaines années, il serait intéressant d’évaluer le rebus pour ces deux espèces afin d’estimer le rendement final pour l’animal.

Les essais conduits au GAEC Les Charentais sont concluants en termes de rendement mais sont à mettre en relation avec les précipitations de la fin du printemps 2023. Ces expérimentations seront à poursuivre afin d’obtenir des références pluriannuelles.
En 2023, cinq agriculteurs ont testé la culture, pourquoi pas vous en 2024 ?

Projet « TEFFOU », en partenariat avec l’I.U.T. d’Aix-Marseille, site de Digne-les-Bains

Contacts & renseignements

Damien FORNENGO, anim.grandes-cultures@bio-provence.org