Le réseau des agriculteurs et agricultrices Bio
de Provence-Alpes-Côte d'Azur

Semis précoces de céréales à paille et association de cultures, une pratique à explorer pour s’adapter au changement climatique ?

Depuis 2022, les agriculteurs bio du collectif ABC-Sud - Développement de l’Agriculture Biologique de Conservation des sols en région Sud-PACA – s’intéressent aux semis précoces de céréales à paille. Les céréales semées en août ou en septembre permettraient de mieux valoriser le pic de minéralisation automnale, d’assurer une meilleure implantation et de limiter le stress hydrique en fin de cycle cultural grâce à une meilleure exploration racinaire.

Plusieurs leviers techniques à mettre en place pour bénéficier des avantages du semis précoce

Les problématiques de salissement, de maladies (JNO - Jaunisse nanissante de l’orge) et de gel d’épis identifiés par les agriculteurs en 2023 avaient permis d’identifier plusieurs leviers techniques pour bénéficier des avantages liés à l’avancement des dates de semis : l’association avec une ou des plantes compagnes (gélives, à cinétique de développement rapide) et l’utilisation de variétés avec d’importants besoins en froid (variété hiver à très hiver, alternativité < 3), à haute fertilité d’épis, tardives à montaison et hautes en pailles pour un bon recouvrement et une meilleure gestion des adventices.

Les agriculteurs qui s’étaient positionnés sur des stratégies d’association de cultures, majoritairement dans le nord de la région Sud-PACA (Hautes-Alpes), avaient été les plus satisfaits grâce à la double, voire triple valorisation du blé associé (biomasse à l’automne pâturée, broyée au champ, ou exportée comme fourrage, production de grains l’été suivant) et les multiples bénéfices apportés par les plantes compagnes dîtes plantes de services : gestion des adventices, meilleures conditions de nutrition azotée, couverture du sol, production de fourrages, camouflage contre les pucerons responsables de la transmission de la JNO…

Un essai pour améliorer la gestion des adventices en semis précoces grâce aux plantes compagnes

En 2024, les agriculteurs du collectif ont décidé de poursuivre ce travail en s’intéressant à l’effet des plantes de compagnes sur les semis précoces de céréales à paille. L’objectif de l’essai était d’associer de façon temporaire plusieurs familles de plantes de compagnes aux services écosystémiques variés (gestion des adventices, nutrition azotée, recyclage de l’azote, production de biomasse etc.) et d’en évaluer les effets sur la céréale et ses composantes de rendement, la nutrition azotée et la gestion des adventices.

L’essai a été conduit sur la commune du Puy-Saint-Reparade (13) dans la Vallée de la Durance chez Bruno Rey, paysan-boulanger et membre du collectif ABC-Sud. Les terres étaient argilo-limoneuses (% de matière organique = 2%) et sensibles à la battance. Le blé tendre de variété Saissette de Provence (valorisation boulangère, variété ancienne type hiver, haute fertilité d’épis et haute en pailles) a été semé à 90kg/ha sur un précédent pois-chiche le 25/09/2024. Le blé a été semé en pur, et en association, avec de la féverole de printemps, de la moutarde blanche, de l’avoine de printemps et du sarrasin. La modalité témoin semée à date normale non associée a été semée deux mois plus tard le 25/11/2024 à 190kg/ha. 60 kg N/ha ont été apportés au semis pour maximiser la production de biomasse sur la période automnale et stimuler le recyclage de l’azote.

En 2024, année la plus pluvieuse depuis les premiers relevés Météo France (+23% de pluie en moyenne sur la France, période de référence 1991 – 2020), les suivis réalisés par Agribio 04 n’ont pas permis de démontrer l’avantage du semis précoce en conditions climatiques méditerranéennes mais les enseignements ont été nombreux.

Une production de biomasse limitée à l’automne dans la partie sud de la région

Le retour tardif des pluies à l’automne et les températures automnales élevées n’ont pas permis la production de biomasse escomptée avant l’entrée d’hiver. Les plantes compagnes de printemps associées (féverole, moutarde, avoine) n’ont pas gelé, à l’exception du sarrasin. Ce constat démontre une fois de plus la difficulté à implanter et à maximiser la biomasse des couverts, ou de cultures de fin d’été, sans accès à l’irrigation. Les créneaux climatiques d’implantation étant de plus en plus aléatoires en région Sud, les semis précoces de céréales seraient plus une pratique d’opportunité plutôt qu’une pratique à systématiser.

Blé précoce semé au 25/11/2023 avec de la féverole de printemps (100kg/ha) - à gauche - et de la moutarde blanche (4kg/ha) - à droite. Les doses de semis ont été réfléchies comme pour un couvert végétal où la dose de semis pleine est divisée par le nombre de cultures associées dans le mélange (ici deux).

Des familles de plantes compagnes à proscrire et d’autres à favoriser

Les blés associés à la moutarde et à l’avoine ont été très impactés par la présence de plantes compagnes (20 à 40% du rendement amputé, en cause leur agressivité sur l’azote) et ont compliqué les chantiers de récolte et de tri. La féverole de printemps a quant à elle été valorisée et a permis de dégager 15q/ha supplémentaires tout en améliorant la nutrition azotée et la qualité du blé tendre (INN de 0,64 / 12,3% de protéines vs. INN de 0,50 / 11,7% en blé témoin semé à date normale).

Performances agronomiques du blé semé à date normale et des blés précoces associés. Le rendement mesuré a été réduit de -15% pour prendre en compte les pertes au champ lors de la récolte.

Une absence de perte de rendement en semis précoce et une meilleure rentabilité économique

Le semis précoce associé au sarrasin a été le seul conduit sans plantes compagnes : aucunes pertes de rendements n’ont été mesurées grâce à une meilleure fertilité d’épis (+20%) venue compensée la baisse du nombre d’épis/m2 (-20%). Pour une dose de semis divisée par deux (de 180 à 90kg/ha), les semis précoces étaient jusqu’à 2x plus productifs que le blé semé à date normale. L’avancement de la date de semis et la réduction de la dose de semis de moitié a même permis d’améliorer la rentabilité du blé tendre (+86 €/ha à +140€ du chiffre d’affaires / ha en valorisant la féverole de printemps).

Composantes de rendement et qualité du blé tendre semé précocement (25/09/2023) en fonction de sa plante compagne associée (référence 100% : blé tendre semé à date normale (25/11/2023)

Une meilleure vigueur végétative limitant le risque de verse ?

Une observation étonnante est l’absence de verse en semis précoce. Les blés étaient pourtant plus hauts (+40cm), avec plus de talles et des épis plus lourds (fertilité d’épis plus élevée). Cette observation peut s’expliquer par une meilleure vigueur des blés (épaisseur des tiges, système racinaire plus développé, amélioration du fonctionnement physiologique) qui s’exprime grâce à l’avancement de la date de semis et une plus faible densité de peuplement (2x moins élevée).

Blé versé semé à date normale à gauche versus blé précoce associé à droite. Les blés précoces associés au sarrasin et à la féverole mesuraient respectivement 142 et 148 cm de haut contre 104cm pour blé semé à date normale.

L’avancement de la date de semis ne permet pas forcément une meilleure valorisation de l’azote

L’avancement de la date de semis du blé dans un contexte 2023 / 2024 non limitant en eau permet d’augmenter la production de biomasse et in.fine l’absorption d’azote par la céréale (+15 kgN/ha absorbé à floraison dans les modalités associées sarrasin et féverole de printemps). Ces résultats sont corroborés par les reliquats effectués au 20/03/2024 qui révèlent une 50aine unités d’N de différence entre les deux dates de semis (29 kg N/ha sur 0-60cm en moyenne en semis précoces contre 85 kgN/ha en semis à date normale). Cette absorption n’est en revanche pas suffisante et ne conduit pas forcément à une meilleure valorisation de l’azote en rendement ou en protéines. L’introduction de plantes compagnes de la famille des légumineuses à graines permet également d’injecter de l’azote dans le système (+ 37 kg N/ha grâce à la féverole de printemps) et d’améliorer la nutrition azotée de la céréale et son taux de protéines. La récolte de la féverole de printemps semée à l’automne a été cette année opportuniste.

Quantité d’N absorbée (kg/ha) à floraison sur semis précoces en fonction de la plante compagne (18/04/2024). La moutarde a été broyée le 07/02/2024, ce qui explique la faible quantité d’azote absorbée à date de prélèvement

Une pression adventice quasi nulle dans l’essai qui n’a pas permis de démontrer l’effet des plantes compagnes sur la gestion du salissement en semis précoces

L’un des objectifs de l’essai était d’associer les semis précoces pour une meilleure gestion des adventices. Malgré une année climatique pluvieuse propice à la levée des mauvaises herbes, la pression adventice était quasi nulle en 2024.

Des essais qui se poursuivent en 2025 !

Les essais de la dernière campagne culturale ayant été riche d’enseignements, les agriculteurs du collectif ont décidé de poursuivre leur travail en se concentrant sur les associations blé / féverole de printemps et blé / sarrasin. Un essai a été initié au nord du département des Alpes de Haute-Provence plus propice au gel, des résultats qui seront à retrouver à l’automne 2025 sur le site internet du collectif.

Rédaction : Clémence Rivoire, conseillère-animatrice régionale en grandes cultures biologiques pour Agribio 04 et le réseau Bio de PACA.
Contact : grandes-cultures@bio-provence.org / 07 44 50 30 67
Date de publication : 12/12/2024

Agribio 04 remercie Margot Bonnevie, en service civique à Agribio 04 et Inès Malavialle en stage, pour leur appui sur le suivi d’essai. Merci également à Bruno Rey.